Présentation

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Ceci est l'histoire de Léa, une éco-anarchiste du 21ème siècle. Sa vie se déroule dans un futur proche, qui sera peut-être bientôt le nôtre...
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Chapitre 1

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2042 – Zone Libre de l’ancienne Bretagne – Forêt d’Yffendic – Territoire du Peuple Sauvage


Cache-cache.
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Des hélicoptères de combat survolent la forêt. Nous les entendons tourner au-dessus de nous. Ils font un passage à basse altitude pour essayer de nous repérer.

Ils ne peuvent nous voir de là-haut. Nous sommes invisibles dans la végétation. La forêt est devenue notre seconde peau.

Les hélicos continuent à patrouiller au-dessus des arbres. Cela fait quelques semaines que l'armée a lancé ses opérations contre les zones libres. L'offensive a lieu partout en Europe et dans le monde. Elle a commencé également dans notre région, celle de l'ancienne Bretagne.
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L'armée se contente pour l'instant de nous envoyer des patrouilles de reconnaissance, pour tester notre résistance.
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Leur commandant n'a sans doute pas apprécié le sort que nous avons réservé à « l'unité d'élite » qu'ils ont parachutée il y a quelques jours dans la forêt. Un commando d'une quinzaine d'hommes, des soldats « surentraînés », armés jusqu'aux dents... Leur but : capturer des « sauvages » ou les éliminer. Morts ou vifs.
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Les « sauvages », c'est ainsi qu'ils nous appellent, en fronçant le nez. Je trouve pourtant le terme plutôt flatteur, même venant de leur part.

Le commando avait été parachuté dans notre secteur. Les soldats se sont déployés en éventail pour ratisser cette partie de la forêt.
Nous étions tout autour d'eux, invisibles à leurs yeux et à leurs instruments de détection. Toute la tribu sur le pied de guerre. Quarante sauvages à l'air féroce, observant silencieusement leur proie.
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Nous aurions pu tuer les soldats un par un, sans qu’ils ne s’en rendent compte. D’une flèche empoisonnée, d'une attaque silencieuse au couteau, d’une torsion affectueuse des cervicales...

Heureusement pour eux, nous sommes des sauvages mais nous ne sommes pas des barbares - contrairement à ce qu’ils prétendent. Nous sommes pacifiques. Et c’est apparemment ce qui les dérange le plus chez nous !

Le commando continuait sa progression à travers la forêt. Les intentions des soldats étaient claires. Ils étaient venus dans la forêt pour nous en chasser ou faire de nous leurs esclaves. Ils étaient venus pour piller et violer, pour prendre possession de cette terre, au nom de la civilisation.
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Malgré cela, il était peut-être encore possible de régler cette situation de manière pacifique. Nous pouvions essayer, à notre façon...
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Horde sauvage.
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Nous avons surgi de toutes parts sur les soldats. J’ai vu leurs yeux s’écarquiller, leur mâchoire se figer... Notre horde jaillissait de tous les coins de la forêt en même temps : des fourrés, des arbres, de la rivière...
Une horde de guerriers et de furies se précipitant sur leurs proies avec des hurlements sauvages...
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Notre attaque a semé la débandade parmi les soldats. Ceux qui tentaient de résister ont été assommés avant d'avoir pu utiliser leurs armes. Les autres ont pris la fuite sans livrer bataille. Ils sont partis en courant droit devant eux et sont tombés tête baissée dans nos filets...
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Le commando au grand complet, capturé sans dommage.
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Nous avons réuni les prisonniers et nous nous sommes adressés à eux pacifiquement.
Nous leur avons expliqué que nous n'étions pas leurs ennemis. Nous leur avons offert de se joindre à nous, de laisser tomber l'uniforme pour venir vivre dans la forêt. Dans la paix et la liberté.
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Ils n'ont pas répondu. Ils détournaient leur regard du nôtre.
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Nous avons pris notre décision. Ils étaient venus semer la mort et la désolation dans la forêt. Cela méritait évidemment un châtiment...
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Nous les avons fait se déshabiller et nous les avons laissés pendant un petit moment sous l'arbre à guano. Là où nichait une colonie de mouettes arboricoles en pleine digestion...
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Le spectacle nous a fait rire aux éclats. Les sauvages ont un sens de l'humour un peu particulier. Un humour qui laisse des traces, ça ne fait pas de doute !...

Une fois le spectacle terminé, nous avons reconduit nos invités jusqu'à la lisière de la forêt, où nous les avons rendus à la civilisation.

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L'heure ne restera pas à la plaisanterie, c’est à craindre. Les hélicos qui tournent au-dessus de nos têtes apportent avec eux la guerre.
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Ils se sont contentés aujourd’hui de survoler la forêt. Mais ils reviendront, plus nombreux, plus décidés. Ils reviendront pour nous chasser et nous détruire.

Ils ne nous laisseront pas le choix la prochaine fois. Nous serons obligés de nous battre et de tuer pour ne pas être tués.

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Chapitre 2

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2042 – Forêt d’Yffendic - Plus tard, le même jour
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La tribu.
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Nous sommes de retour au campement, caché au cœur de la forêt : un ensemble de huttes hétéroclites, faites d'un treillis de branchages et de divers matériaux, selon les méthodes de chacun.
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L'intérieur des huttes est agrémenté de bois ouvragés, de tentures et de fourrures. ..........................................................
Dans un coin du campement, des panneaux solaires et une antenne parabolique dépassent du toit d'une bâtisse en rondins : notre atelier, qui abrite le matériel de récupération et nos innovations technologiques personnelles.
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Les membres de la tribu ont un aspect aussi hétéroclite que le campement : une bande de joyeux hurons, de toutes nationalités, à l'allure de guerriers iroquois ou de chasseurs-cueilleurs post-apocalyptiques, sachant aussi bien tirer à l'arc que cannibaliser un ordinateur.
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Nous associons les modes de vie ancestraux avec certaines des connaissances techniques actuelles.
Nous veillons à utiliser notre savoir dans le respect de la vie. C'est ainsi que le Peuple Sauvage voit les choses.
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Ma fille me rejoint et vient m’embrasser. Elle n’a que 13 ans et je n’ai pas voulu qu’elle participe à l’embuscade contre les soldats. Elle est restée au campement avec ceux chargés de garder les plus jeunes.

Cette décision m’avait valu le regard désapprobateur de son père. Dans la tribu, les jeunes filles sont traitées à l’égal des garçons : elles apprennent comme eux à chasser et à se battre. A son âge, ma fille était déjà une vraie furie, ce qui faisait la fierté de son père.
Mais j'avais refusé qu’elle aille affronter ce commando venu pour nous abattre ou nous mettre en cage.
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Tous les membres de la tribu sont de retour au campement, sains et saufs. Nous nous rejoignons sur la place centrale, pour nous réjouir de notre victoire.
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Notre tribu compte à ce jour une quarantaine d'adultes et une dizaine d'enfants. C'est un effectif élevé pour notre forme de communauté. Une partie d'entre nous se prépare à partir bientôt, pour fonder leur propre tribu.
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La forêt d'Yffendic abrite plus d'une cinquantaine de tribus du Peuple Sauvage, reliées entre elles par les liens de l'amitié et de la famille.
Même si chaque tribu a son identité et tient fièrement à son indépendance, chacun d'entre nous se sent d'abord membre de la communauté du Peuple Sauvage, au-delà de son appartenance à une tribu.
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Le soir descend à présent sur le campement. Nous allons fêter notre victoire sur les soldats. Certains d'entre nous sont déjà occupés à installer un grand feu au centre de la clairière. Du gibier et des plats aux herbes sauvages sont mis à cuire. Des fumets délicieux montent dans l’air du soir.

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Tout est calme aux alentours. La forêt nous entoure de ses bras protecteurs. Nous sommes en sécurité sous la garde de ses sentinelles – quelques loups gris à la mine ombrageuse, vivant dans les environs.
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Nous nous installons en cercle autour du feu. Les visages prennent une expression solennelle pendant que nous partageons tous ensemble en silence un instant de recueillement.
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Nous remercions la nature pour tout ce qu'elle nous procure.
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Notre recueillement silencieux est interrompu par un battement d'ailes discret dans les arbres. Perché sur une branche, un grand-duc nous observe de son oeil rond. Il pousse un hululement philosophe puis disparaît au loin.
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Le maître de cérémonie a parlé !...
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Nous levons la séance le coeur joyeux. Les enfants tendent des mains impatientes vers la nourriture : il est temps de passer à table à présent !
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Les plats sont ôtés du feu et la nourriture est répartie entre tous les membres de la communauté. La clairière s’emplit du bruit de nos mastications et de nos libations, entrecoupées de rots sonores et parfumés.
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Nous levons nos gourdes et trinquons. Quelqu’un se met à chanter et nous nous joignons à lui, tous en choeur.
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Ce chant fait partie de notre répertoire personnel. Il raconte l'histoire de la tribu tout au long des années, avec ses « faits d'arme » les plus glorieux, ainsi que ses déboires les plus désastreux, restés dans toutes les mémoires...
L'épisode de cette journée fournit aux chanteurs matière à ajouter quelques couplets humoristiques !
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Sous le ciel nocturne où scintille un ruban d’étoiles, la clairière s’emplit de nos rires et de nos discussions animées.
Le père de ma fille me serre tendrement contre lui. Je lui souris, essayant de chasser les ombres pensives qui tournent au fond de moi...
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Le sang de la terre.
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La « civilisation » nous a déclaré la guerre il y a bien longtemps. Cela remonte à la nuit des temps...
Ce conflit a pris une nouvelle tournure avec les événements actuels. Les civilisés nous accusent de leur avoir pris une partie de leur territoire. Ils veulent récupérer à présent ce qu'ils considèrent leur appartenir...
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Le Peuple Sauvage n'a pas de territoire. La terre ne nous appartient pas. C'est nous qui appartenons à la terre.
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La civilisation veut mettre à nouveau la planète sous son joug. Nous savons ce qu'elle en fera, si elle y parvient...
Ses machines éventreront la terre pour engraisser son industrie agroalimentaire, les rejets de ses usines souilleront de nouveau les rivières, ses zones pavillonnaires prendront la place des forêts... Elle fera de cette planète hospitalière un cimetière.
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Nous ne la laisserons pas faire.
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Le lien qui nous lie à la terre est sacré. Avec ces arbres, ces animaux et ces plantes, elle nous procure de quoi de nous nourrir, nous vêtir, nous soigner.
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Nous veillons sur la terre comme elle veille sur nous. Si elle est menacée, nous prendrons les armes pour la défendre. Le Peuple Sauvage entrera en guerre.
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Nous nous battrons sans merci pour défendre les forêts, les prairies, les rivières. Nous donnerons notre vie, s'il le faut, pour que la terre reste libre et fertile pour nos enfants et leurs descendants.
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Sans ce lien sacré qui unit chacun à la vie, le coeur humain bat en vain.
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En liberté.
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Les événements peuvent encore tourner à notre avantage... De bonnes nouvelles nous sont parvenues récemment des villes.
Depuis ces derniers mois, la révolte gronde à nouveau parmi les citadins. Leurs conditions de vie ont encore empiré. Ils ont été plus nombreux à venir nous rejoindre cette année.

Il en est de même dans toute l'ancienne Europe, apparemment. Cela explique que les gouvernements aient commencé à déployer leurs forces armées.
Ils ne peuvent tolérer l'existence des zones libres. Ils ne peuvent nous laisser vivre « en liberté ».
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Si les villes se soulèvent et nous rejoignent, nous avons une chance de gagner... Sinon, nos ennemis seront vainqueurs. Et ils ne feront pas de quartiers. Ils nous tueront jusqu'au dernier, jusqu’à la dernière.
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Le Peuple Sauvage.
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Je ne me suis pas encore présentée à vous qui lisez ces lignes… Mon nom est Léa. Je fais partie du Peuple Sauvage.
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J'ignore si quelqu'un lira un jour ces notes écrites sur ce vieil agenda, passé de date depuis longtemps... J'ai consigné dans ce journal quelques uns des événements de ma vie. Soyez-y le ou la bienvenue !

J'ai perdu la notion du temps avec les années, mais pas assez pour ne plus savoir mon âge ni l'année où nous sommes. Sans doute un vieux réflexe d'une ex-civilisée.
J'ai fêté mes 50 ans cette année. Ma vue est moins perçante qu'autrefois et je ne cours plus aussi vite à travers la forêt. Mais je peux encore donner quelques leçons à ceux qui s'avisent de me manquer de respect !...
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Cela fait une dizaine d'années que je suis venue vivre ici, dans la zone libre de l’ancienne Bretagne, parmi l'une des tribus du Peuple Sauvage.
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Quelques décennies ont passé en effet depuis le krach pétrolier... Mais mieux vaudrait peut-être que je commence par le commencement !...
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Chapitre 3

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Début des années 1990 – Banlieue de Lyon - France
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A la découverte du monde.

Toute petite déjà, mes parents disaient de moi que j’étais une vraie « sauvage ». J’ai appris à marcher avant de savoir parler. J’escaladais les barreaux de mon parc, pour partir à la découverte du monde ! Dans les limites de l’appartement et parfois au-delà !

J’ai grandi dans la brique et le béton. Je m’y suis toujours sentie à l’étroit, en manque de « verdure ».
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Mes parents m’emmenaient dans le square du quartier, pour que je me dégourdisse les jambes.
Je passais des heures à gratter la terre, à ramasser des feuilles ou des marrons au pied des arbres. Je levais ma tête vers leur cime : comme ils étaient grands ! J’avais l’impression qu’en escaladant leurs branches je pourrais atteindre le ciel bleu, par delà les murs gris.

Je faisais des caprices horribles quand venait l'heure de quitter le square. Mes parents devaient me ramener à la maison en me traînant par la main ou par les pieds, selon ce qu'ils réussissaient à attraper...
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Enfin, c'est ce qu'ils m'ont raconté. Ils en rajoutaient peut-être un peu dans leurs souvenirs !...
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A l’école et au lycée, j’étais du genre à rêver les yeux grands ouverts, en regardant par la fenêtre..
Mon imagination m’emportait à des milliers de kilomètres, dans des pays imaginaires tirés de mes livres d’enfance. Quand la maîtresse ou le prof me posaient une question, je les dévisageais avec étonnement. Le retour sur terre était souvent désagréable…

La marche du progrès.
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Ces souvenirs semblent appartenir à une autre vie. Le monde a tellement changé depuis... Beaucoup de gens ont disparu tragiquement depuis cette époque.
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Il y a quelques années, je suis retournée au square de mon enfance. L’endroit m’a paru minuscule, mais je sentais encore sa magie agir sur moi.
Les arbres étaient toujours là, même si leur feuillage souffrait désormais de la canicule. J'ai touché doucement leur tronc et j'ai fait un petit tour dans cet endroit chargé de souvenirs.
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Je repensais à mes parents. Ils venaient parfois ensemble pour m'accompagner au square. J’aimais les voir assis tous les deux sur ce banc, en amoureux, se tenant par la main sans doute comme à leur première rencontre.
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En fermant les yeux, j'avais la sensation d'entendre leur voix qui m'appelait pour rentrer. Cette fois, je n'avais plus envie de leur échapper, mais de courir vers eux pour me jeter dans leurs bras...
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Mes parents ne sont plus de ce monde, à présent. Ils me manquent... Ma mère est décédée dans les épidémies qui se sont propagées en Europe, aux heures sombres de notre histoire.
Mon père était mort quelques années plus tôt, à cause d’un autre fléau : la contamination par des particules « nanogènes », que l’on avait répandues à tout va dans la nature...
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Ils n’ont pas eu la chance de mourir sereinement, « en bonne santé ». On ne mourait plus de cette façon depuis longtemps...
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De nouvelles maladies avaient remplacé les anciennes, plus perfectionnées, insoupçonnables, incontrôlables.
Des épidémies se déclenchaient sans crier gare et s’étendaient au monde entier en quelques jours. On mourait dans la peur et la souffrance.
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C’était simplement la marche du progrès...
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Il est triste de penser à tout cela. Que mes parents reposent en paix, comme on dit. Revenons plutôt à la suite de mon enfance et de mon adolescence. Les premiers pas dans la vie, pleins d’insouciance.
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Mauvaises fréquentations.

Le héros de ma jeunesse était mon grand-père, du côté de ma mère.

Mon grand-père était le vilain petit canard de la famille. Son côté anarchiste et ses multiples relations féminines, parfois simultanées, suscitaient la réprobation générale.
Il faut reconnaître qu’il n’avait pas été un père de famille modèle. Quelques séjours en prison pour ses activités politiques et de menus larcins « pour la bonne cause », n’avaient pas amélioré sa réputation.
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A sa dernière sortie de prison, ses anciens amis s'étaient rangés ou dispersés aux quatre vents. Sa famille ne voulait plus entendre parler de lui. Mon grand-père a choisi de refaire sa vie à la campagne, loin du monde.
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J'avais déjà 8 ou 9 ans lorsque j'ai fait sa connaissance. Ma mère m'avait emmenée avec elle pour lui rendre visite dans sa « campagne ».

Mon grand-père était réputé pour son sale caractère et j'étais dans mes petits
souliers la première fois que je l'ai rencontré. Mais j'avais apparemment réussi à amadouer ce « vieil ours mal léché » !
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A la fin de notre première rencontre, il m’a offert un livre de son auteur préféré, « L’appel de la forêt » de Jack London, et m'a invitée pour les grandes vacances.
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Une sensation d'ivresse.
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Mes séjours chez mon grand-père sont vite devenus une habitude.
Le vieil ours mal léché habitait dans un village au fond de la Lozère, un département qui se trouve lui-même au fin fond de la France, pour le plus grand bonheur des Lozériens.
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Mon grand-père gagnait épisodiquement sa vie en réparant des tracteurs et autres machines agricoles, tout en s'occupant d'une petite distillerie d’alcool de noix, plus ou moins autorisée par la loi.
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Le jour de mon arrivée, il m’accueillait à la descente du car en posant un chapeau de paille sur ma tête. « Salut ma sauterelle » me disait-il, avec son grand sourire moustachu.
Nous passions déposer ma valise dans sa maison. Le temps de dire bonjour à quelques voisins en cours de route et le reste de la journée était à nous !
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Notre musette à l'épaule, nous partions d’un bon pas dans les collines, à la cueillette des mûres et à la chasse aux escargots.
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Une sensation d'ivresse s'emparait de moi quand nous étions dans la nature.
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J'escaladais les rochers et je courais à travers champs en riant comme une folle...
Je taquinais les arbres en tirant gentiment sur leurs branches...
Je restais en arrêt devant une fourmilière en pleine effervescence ou devant la trace d'un sanglier sur un sentier...
Je suivais pendant des heures le vol des buses, glissant silencieusement entre les nuages...
Je sentais mon coeur se briser au chant du merle qui saluait les dernières lueurs du jour...
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Nous partions en vadrouille jusqu'au soir, pendant tout l'été.
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Nous étions de retour pour le souper, en compagnie des troupeaux de brebis qui rentraient de leur pâturage et dévalaient bruyamment la grand'rue du village. Un spectacle mémorable, pour une citadine comme moi.
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Les soirées étaient consacrées à des parties de belote avec les voisins, à la lecture d’histoires au coin du feu, ou à des cours de mécanique automobile...
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Mon grand-père tenait absolument à me donner des rudiments dans ce domaine, que je trouvais plutôt rebutant.
Il avait l'air d'y tenir et, bon gré mal gré, j'ai dû apprendre à démonter et remonter un carburateur les yeux fermés...
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Ce n'est que quelques années plus tard que j'ai compris l'intérêt de la chose : quand l'heure est venue de livrer bataille contre les machines qui avaient entrepris de détruire la planète...

La fin des vacances arrivait toujours trop vite. Je quittais d’un cœur lourd mon grand-père et les coteaux de la Lozère.

Marche ou rêve.

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Ces années ont passé sans que je m'en rende compte. Au lycée, je suis allée jusqu'au bac. Je poursuivais mes études sans avoir vraiment envie de les rattraper...
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Le jour du bac, la lecture des sujets ne m'a guère inspirée. J’ai choisi finalement « op-tion dessin » dans toutes les matières.
Je me débrouillais pas mal dans ce domaine et j'avais pensé à apporter mes feutres et mon matériel personnel.
J'avoue que j’ai été un peu vexée par les résultats : zéro pointé partout ?????... J’avais pourtant décoré mes copies avec des collages et des graffs plutôt réussis (un peu dans le style du Guerilla Art de Keri Smith, si vous connaissez).
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Zéro pointé partout ! Pfff... Les vraies artistes ne sont pas reconnues...
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Mes parents n'ont pas trop apprécié la plaisanterie. Je n’avais plus le choix, l’heure était venue d’entrer dans la vie « active », même si aucune des « activités » proposées ne me paraissait épanouissante...
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Tout au fond de moi, j’entendais résonner l’écho de « l’appel de la forêt » mais je ne savais comment y répondre. .
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Je me sentais fragile et pleine de vie, comme un papillon qui vient de naître... J’ai ouvert mes ailes et je me suis envolée par la fenêtre.

J’ai mis le cap sur l’inconnu...
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Suite de l'histoire de Léa et du Peuple Sauvage

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La suite de l’histoire de Léa est racontée à partir d’ici d'une façon plus résumée mais complète.

Ce récit est divisé en plusieurs chapitres, de manière chronologique (2010-2020-2030...).

Certains chapitres sont précédés d’une présentation du contexte historique (tel que nous l’imaginons…), notamment pour les événements de la période 2021-2040.

Suite de l’histoire de Léa et du Peuple Sauvage ci-dessous...
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Chapitre 4

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Léa : 2010 – 2020
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La vie sans mode d'emploi.
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Léa a 18 ans. Elle ouvre ses ailes et met le cap sur l’inconnu.

« L’inconnu » s’avère hélas limité pour l'instant aux recherches d’emploi. Un domaine dans lequel Léa a encore moins d’ambition que de qualification.
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Certes, elle a suivi avec assiduité les cours du soir de son grand-père anarchiste - une formation au contenu instructif et utile en toute situation. Mais elle ne se sent pas véritablement l'âme d'une rebelle.
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Léa ne cède pas au découragement. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, elle épluche les petites annonces et prend place dans les queues de l’Anpe et des agences d’intérim.

Au gré de l’offre et de la demande, elle papillonne d’un « petit boulot » à un autre. Serveuse, vendeuse, manutentionnaire, chauffeuse-livreuse... Les places sont chères, inversement aux salaires. Les fins de mois sont difficiles, les débuts aussi… Léa emprunte de l’argent à son banquier, qu’elle réussit à apprivoiser de son sourire innocent.

Elle a parfois la chance de trouver un contrat dans un domaine qui lui plait : jardinage ou bricolage. Elle prend généralement ce qu’il y a. Elle travaille plusieurs mois dans un abattoir industriel, sans s’en vanter auprès de ses amis, plus végétariens qu’elle.

Trois années ont déjà passé, bientôt quatre. L’enthousiasme de Léa faiblit. Elle broie du noir et se met au vert chez son grand-père, entre deux recherches de boulot.

Greenpeace Corporation.

En parallèle, Léa s’est inscrite à Greenpeace. Elle participe aux actions du militant de base : signature de pétitions, opérations de « sensibilisation » dans des supermarchés, cortèges dans les manifs, etc.

Léa ne tarde pas à être déçue par le côté bureaucratique et réformiste de l’organisation.
Greenpeace a visiblement rangé ses zodiacs au garage... Ses militants les plus virulents .ont pris le large, .pour continuer leurs actions .par leurs propres moyens ..(le flibustier Paul Watson et l’association « Sea Shepherd », parmi d'autres).
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Les nouveaux activistes de Greenpeace mènent désormais leurs actions dans les couloirs feutrés des ministères et les salons de thé du Parlement Européen...
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Léa ne tarde pas à délaisser Greenpeace. Elle se contente d’aller aux manifestations avec quelques amis altermondialistes, pour y respirer le doux parfum des gaz lacrymogènes...

Droopy.

A l’occasion d’un de ses contrats en intérim, Léa fait la connaissance d’un jeune homme, surnommé « Droopy », qui est militant anarcho-syndicaliste. Droopy est adhérent à la CNT, la bête noire (et rouge) des DRH et des exploiteurs du prolétariat.
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Léa et Droopy ont en commun d’être fans de Jack London. Droopy fait cadeau à Léa d'un exemplaire du « Talon de Fer ». Léa lui offre « L’Appel de la Forêt ».
Léa tombe sous le charme de Droopy, sans pour autant épouser la cause anarcho-syndicaliste…

Léa a du mal à comprendre cette foi dans la science et le progrès social, qui anime les anarcho-communistes.
A les en croire, la civilisation n’est pas une mauvaise chose en soi. Nous pourrions être parfaitement heureux en travaillant simplement quatre heures par jour. Les machines feraient tout le boulot et on passerait l’après-midi à la plage.

Léa n’est certes pas opposée à ce programme alléchant, surtout pour ce qui concerne la partie consacrée à la plage, où elle passerait bien ses journées entière avec Droopy et ses camarades.
Mais elle n’est pas convaincue par l’idée que de merveilleuses machines puissent faire tout le boulot, sans que cela ne s’accompagne finalement d’une organisation sociale identique à la nôtre.

Pour Léa, les « anarchistes des villes », comme elle les appelle, sont un peu trop civilisés à son goût. La nature et les êtres vivants n’ont guère de place dans leur vision, sauf de façon décorative, à l’heure du coucher de soleil.

Léa ressent les choses différemment et elle s’en aperçoit à cette occasion. Pour elle, c’est au sein de la nature que l’être humain a sa place. C’est là seulement qu’il peut vivre libre.

Ces différences de vue n’empêchent pas Léa et Droopy de s’attacher l’un à l’autre. Léa invite le jeune anarcho-syndicaliste en Lozère, pour qu’il y fasse la connaissance des moustaches de son grand-père et de son alambic...
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Hanovre 2015.

L’année suivante, Léa participe à la manifestation contre le sommet du G8, qui a lieu en Allemagne.

L'Allemagne est alors un pays en pleine mutation : ses gouvernements successifs se sont prononcés pour un retour à l'énergie nucléaire. Les énergies « alternatives » ne sont plus considérées comme capables de faire face à l'épuisement futur du pétrole et du gaz.
La fermeture des anciennes centrales nucléaires a été annulée. De nouvelles centrales nucléaires sont mises en chantier à partir de 2013.

L’Allemagne est à la pointe du « capitalisme vert » et du « libéralisme éclairé ». Face à cela, une partie de l’opposition s’est radicalisée, comme dans l’ensemble de l’Europe.

Au sommet du G8 à Hanovre, les manifestations sont impressionnantes. Les manifestants, venus du monde entier par centaines de milliers, se font soigner les bronches aux lacrymos, selon la tradition... Une tradition personnelle également pour Léa, qui est cette fois aux premières loges.

La manifestation dégénère dès le premier jour et donne lieu à des affrontements violents avec la police pendant la semaine qui suit.
Matraquages à tout va, arrestations musclées, canon à eau, flash-balls à bout portant... Les violences policières provoquent l’indignation des manifestants les plus pacifiques, dont une partie finit par se joindre aux émeutiers et aux « casseurs ».
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La ville passe une semaine agitée...
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Les rangs des manifestants grossissent de jour en jour. Une foule turbulente envahit les rues et s'y installe.
Des chaînes humaines paralysent la circulation dans toute la ville, pour empêcher les réunions du G8.
Des street parties spontanées et conviviales défient le couvre-feu de la police : on chante, on danse, on s'embrasse, on déclame de la poésie jusqu'au bout de la nuit.
Des banques et des centres commerciaux sont mis en « libre-service », aux cris de Vive l'Anarchie !
Les manifestations prennent des tournures débridées et inhabituelles. Comme celle de ces adeptes du vomit-in, qui se font vomir en public devant les restaurants chics des beaux quartiers.
Ou comme ces manifestants, ayant visiblement perdu la raison, qui attaquent le service d'ordre du G8 à coups de polochons et d'ours en peluche...
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Bref, comme le résume un participant, « On fait la fête ! ».
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Léa sort à peu près indemne de ces journées de tumulte. Elle s’en tire avec un œil au beurre noir et les côtelettes en vrac, mais ravie d’avoir semé la zizanie et bien rigolé pendant toute une semaine. Voilà enfin une activité qui lui plaît ! Elle va pouvoir mettre ça en tête de son CV.

Pour Léa c’est une forme de révélation. Au cours des manifestations, elle a fait la connaissance d’un groupe d’éco-activistes de diverses nationalités, vivant dans des squats, organisés au sein d'un réseau européen, de l'Allemagne à l'Espagne, en passant par la République Tchèque ou les Pays Scandinaves.
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Léa se joint à eux. C'est le début de la période de sa vie consacrée à « l'action directe ».
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Eco-sabotage.
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Les éco-activistes exercent leurs talents dans de multiples domaines : opérations contre les trains « castor » (transports de déchets nucléaires)... .sabotage d'installations industrielles... actions pour empêcher la coupe à blanc des forêts... attaques de fermes d'élevage hors-sol... de laboratoires de vivisection... de chantiers de centrales nucléaires...

La société civilisée a toujours fait preuve d’une grande inventivité dans le domaine des nuisances et de la malfaisance. Ses adversaires n'ont que l'embarras du choix pour agir !...

Les éco-activistes opèrent par petits groupes, indépendants les uns de autres. On y trouve des personnes de tous les milieux sociaux et de toute culture, qui ont en commun le désir de défendre la nature et de vivre dans une société qui ne considère pas l'être humain comme une machine.
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Léa participe à plusieurs actions de sabotage et se révèle plutôt douée dans ce domaine. Le maniement de la clef-à-molette, du pied-de-biche ou du chalumeau oxhydrique n'ont bientôt plus de secret pour elle.
Là où Léa passe, les machines trépassent... comme le fait remarquer en souriant son grand-père.

Parmi la panoplie du « vilain petit éco-saboteur », l’une des mauvaises blagues préférées de Léa est la stink bomb, ou skunk attack...
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L’ingrédient magique de cette technique est l’acide butyrique, une substance qui répand une odeur délicieusement nauséabonde. A défaut, de l’urine de renard (utilisée pour le dressage des chiens de chasse) vous fera également très bien l’affaire...

Quelques gouttes de cette potion magique, déposées subrepticement dans un conduit de ventilation, suffisent à empuantir tout un immeuble. Les bureaux d’une entreprise du lobby nucléaire, par exemple...
Les occupants ne tardent pas à sortir en courant, mais l’odeur les suit à la trace pour le restant de la semaine. Un sérieux handicap dans les relations sociales !...

Cet élixir fait également son effet dans un magasin de manteaux de fourrure à 5 000 euros pièce. Un petit cadeau de la part des visons élevés en batterie et nourris avec de la viande de baleine en voie d’extinction, officiellement « interdite » à la pêche.

Les éco-activistes pensent qu'il ne faut pas attendre que la nature ait disparu pour prendre sa défense.
Leur philosophie n'est pas de défendre la nature contre l'homme : ils défendent la nature pour que l'homme puisse y avoir encore sa place dans le futur.
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Face à la méga-machine.

Au cours de cette période d’effervescence, Léa doit faire face aussi à une triste nouvelle : la mort de son père. Un deuil qui la marque profondément, et qui vient renforcer sa détermination.

Le père de Léa fait partie des victimes de la première vague des maladies nanogènes, ces nouvelles pathologies engendrées par l’utilisation incontrôlable des nanotechnologies (dans les aliments, les peintures, les médicaments, les vêtements, les télécommunications, etc).
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Les « OAM » (Organismes Atomiquement Modifiés) pénètrent et s’accumulent dans le corps humain sans aucune barrière, attaquant le système immunitaire et détruisant les fonctions vitales.
Mi-machines mi-êtres vivants, certains de ces cyber-organismes infra-cellulaires colonisent les malades et se répandent dans la population, à la manière d'une épidémie incontrôlable.
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Après l’enterrement de son père, Léa retourne en Allemagne auprès de ses amis.
Les opérations d’éco-sabotage se multiplient avec succès pendant quelque temps. La presse finit par en faire ses gros titres : « L'Europe face au terrorisme écologiste ! ».
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La police et l’armée sont sur les dents. La chasse aux « saboteurs » est ouverte. Léa se fait arrêter par deux fois. A sa deuxième arrestation, elle écope d’une peine de 18 mois de prison, avec une partie de ses complices.
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Le mouvement a du plomb dans l’aile. Du fond de sa prison, Léa fait partie de ceux qui pensent qu’il faut passer à autre chose. Mais à quoi ? Comment agir ?...

Pendant ce temps, la « mega-machine » poursuit sa route. Impassible, inhumaine, elle continue d’accomplir la destruction de la planète.
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Contexte historique : 2021, l'année du krach

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L’année 2021 est marquée par un événement qui ne passe pas inaperçu : le franchissement du « pic pétrolier » et le krach économique mondial qui en résulte.
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L'huile de pierre.
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Le pétrole est le talon d’Achille de notre civilisation. Depuis le milieu du siècle dernier, notre développement économique a reposé sur l’utilisation d’une ressource naturelle merveilleusement abondante, quoique non renouvelable : le pétrole.
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La miraculeuse huile de pierre.
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En quelques décennies, le pétrole est devenu notre première source d'énergie et de matière première, loin devant toutes les autres.
Notre société industrielle utilise le pétrole sous toutes ses formes et en a fait une consommation sans frein, jusqu'à présent.
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Directement ou indirectement, le pétrole est aussi la première source de profit dans notre société.
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Notre développement industriel et notre prospérité économique reposent sur le pétrole.
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Sans alternative.
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Le « capitalisme vert » ne change pas la donne. Son objectif reste la recherche du profit capitaliste, par le développement d'une société industrielle, avec la consommation énergétique sans limite qui l'accompagne.
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Pour cela, la source d'énergie la plus adaptée reste le pétrole.
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Les « énergies alternatives » ne sont pas faites pour une utilisation industrielle et centralisée, qui convient au capitalisme.
Elles doivent s'accompagner d'une utilisation alternative de l'énergie, par des communautés à taille humaine, réparties harmonieusement sur le territoire.
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Le capitalisme vert n'a pas pour projet une organisation alternative de la société. Lorsqu'il s'intéresse aux énergies alternatives, c'est dans le but de les développer industriellement et d'en faire du profit.
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De 2010 à 2020, le capitalisme vert se montre fidèle à son principe, en utilisant les énergies alternatives dans des projets mégalomanes.
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La plus célèbre de ces réalisations, inaugurée à l'aube des années 2020, est la centrale solaire Désertec.
Une installation au coût pharaonique, au rendement médiocre et aux effets écologiques désastreux : des milliers de kilomètres carrés de panneaux solaires utilisant des matériaux hautement polluants, une consommation d'eau colossale (en plein désert) pour approvisionner les réacteurs, une déperdition calorique et des pertes en ligne dispendieuses, pour acheminer à des milliers de kilomètres de là une électricité qui pourrait être produite localement ou remplacée par d'autres sources d'énergie...
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Le capitalisme vert utilise les énergies alternatives de façon toute aussi polluante et gaspilleuse que les énergies traditionnelles, car son but reste le profit.
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Et la meilleure source de profit se trouve être encore le pétrole.
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L'heure du « pic ».
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En 2020, la source d'énergie (et de matière première) la plus utilisée reste le pétrole, loin devant toutes les autres.

Le nucléaire, le gaz ou le charbon répondent à certains besoins, mais ils sont beaucoup moins diversifiables et universels que le pétrole..
Les énergies alternatives, même utilisées industriellement, ne représentent qu'un pourcentage toujours aussi négligeable.
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Le capitalisme vert carbure à l'or noir.
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La consommation de pétrole n'a pas ralenti, bien au contraire.
Au cours de ces deux dernières décennies, la croissance économique s'est accompagnée d'une augmentation record de la consommation mondiale de pétrole. L'or noir coule à flot. Le pétrole n'a jamais autant rapporté.
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Pour satisfaire la demande, il a fallu que la production augmente au même rythme. Cela a été le cas, jusqu'à cette année-là...
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En 2021, l'événement maintes fois redouté se produit : l'ensemble de la production mondiale de pétrole diminue de façon irréversible, pour la première fois de son histoire.
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Le franchissement du « pic pétrolier » vient d’avoir lieu.
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Sans retour.
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L'événement déclencheur a eu lieu quelques années plus tôt au Moyen-Orient, où se trouvent les plus grands gisements pétrolifères de la planète.
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C'est le rendement de ces gisements qui détermine le cours du pétrole depuis le siècle dernier. Leur exploitation s'est faite à un rythme volontairement plus lent que celle des autres gisements, pour maintenir la stabilité des cours.
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Ces mesures de prudence ont dû être abandonnées devant l'augmentation record de la consommation de pétrole sur ces 20 dernières années. Les champs pétrolifères du Moyen-Orient sont exploités à leur tour au maximum de capacité journalière.
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Dès les années 2010-2015, ces gisements ont montré les premiers signes d'épuisement. Leur production s'est mise à baisser, insensiblement mais irréversiblement...
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Les autres gisements de pétrole, ailleurs dans le monde, étaient déjà sur le déclin depuis plusieurs années.
Les nouveaux gisements, découverts et mis en service entre-temps, n'ont permis que provisoirement de compenser la baisse du reste de la production.
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En 2021, le déclin des champs pétrolifères du Moyen Orient s'accélère. Les nouveaux gisements ne sont plus en progression...
L’ensemble de la production mondiale de pétrole se retrouve en baisse par rapport à l’année précédente. Une baisse irréversible. Le « pic pétrolier mondial » vient d'être franchi.
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Le krach pétrolier final, sans retour, vient de commencer.
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Le fond du réservoir.
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Au lendemain du « pic », les réserves mondiales de pétrole sont estimées à dix ans, à plein rendement.
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Les gisements de pétrole ne sont pas de simples « réservoirs » dans lesquels on plante un tuyau. Ils sont faits de couches sédimentaires complexes, où le pétrole est retenu comme dans une éponge.
Si on aspire trop fort, ou si on aspire trop longtemps, l'éponge se met à fuir et son précieux contenu se disperse dans les profondeurs de la terre, de manière irrécupérable. Le rendement d'un gisement pétrolifère décroit alors rapidement.
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Au cours des années qui ont précédé le « pic », l'extraction de pétrole a été poussée à son maximum sur l'ensemble des gisements mondiaux. La chute sera d'autant plus rapide. Dix ans, si l'on reste à plein rendement... Quinze si l'on économise...
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La fin du pétrole apparaît soudain comme une fatalité à envisager dans un avenir proche.
Le pétrole va bientôt disparaître, ainsi que le mode de vie qui va avec.
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No future.
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Cette perspective a des effets immédiat. La fièvre s'empare des marchés boursiers. L'annonce de la baisse de la production de pétrole fait monter en flèche le cours du pétrole, vers des sommets sans précédents.
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Même si ce recul de la production est encore limité, il a lieu sur un marché où la demande est en hausse permanente depuis plusieurs décennies.
Le fait que l'offre ne parvienne plus à satisfaire, même de peu, une demande élevée, fait flamber du cours du pétrole.

Le prix de l'essence augmente de 25% dans l'année qui suit. Le gasoil, le kérosène ou le mazout sont sur la même pente ascensionnelle.
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Ce n'est encore qu'un début. Le cours du pétrole ne va cesser de monter. Il va doubler, tripler, quadrupler dans la décennie qui suivra.
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Le prix de vente du pétrole a été maintenu artificiellement bas pendant le demi-siècle qui a précédé. Les pays producteurs de pétrole, inféodés au compagnies pétrolières occidentales, y ont veillé, avec tout l'appui militaire nécessaire.
Ceci afin de permettre l'accélération de la croissance économique, grande consommatrice de pétrole. Si nous avions eu un pétrole « cher » ou consommé de façon économe, le monde serait devenu bien différent de ce qu'il est.
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L'effet du passage du « pic pétrolier » s'avère d'autant plus violent. Le cours du pétrole rattrape son « retard ». Il récupère sa véritable valeur, au plus mauvais moment : celui où sa consommation n'a jamais été aussi élevée...
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Du pic au krach.
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Le secteur des carburants n'est pas le seul à être concerné. La fin prochaine du pétrole signifie aussi celle de tous ses produits dérivés : plastiques, engrais, pesticides, textiles, chaussures, cosmétiques, médicaments, revêtements routiers, etc …
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Rares sont les biens de consommation qui n'utilisent pas de pétrole, à une étape ou l'autre de leur production, pour leur conditionnement ou pour leur transport. L'ensemble du secteur industriel et économique est concerné.
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Le pic pétrolier provoque un début de krach boursier. Les perspectives alarmistes font plonger les places boursières, en situation fragile après plusieurs décennies de croissance effrénée et de bulles financières explosives.
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Le marché boursier amplifie le choc pétrolier et le répercute au système financier... La situation dégénère en crise économique mondiale, avec la menace d'une crise alimentaire...
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Du pétrole dans nos assiettes.
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L'agriculture industrielle est très consommatrice de pétrole, qu'elle utilise comme carburant pour le transport mais aussi pour l’irrigation, et comme matière première pour la fabrication d'engrais et de pesticides.
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C'est le pétrole qui fait pousser nos fruits et légumes, c'est le pétrole qui les rend plus appétissants, c'est le pétrole qui permet de les transporter jusque .dans .notre .assiette.
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L'espèce humaine en est finalement arrivée à cela : se nourrir de pétrole, sous une forme ou sous une autre...
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La crise pétrolière est lourde de conséquences pour les ressources alimentaires mondiales, qui proviennent en majorité de l'agriculture industrielle :
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- Le premier effet est l'augmentation du prix des denrées alimentaires, qui suit la courbe ascensionnelle du pétrole.
- L'autre conséquence est un risque de pénurie alimentaire, quand le pétrole viendra à manquer pour faire pousser les céréales, alimenter le bétail, approvisionner les villes, et nourrir ainsi le monde.
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Les stocks alimentaires mondiaux ne sont que de quelques mois. Ils se trouvent en baisse constante depuis le début du siècle, suite à la réduction des terres arables, aux effets des engrais industriels, à la déforestation ou au réchauffement climatique (sècheresses, « stress hydrique »).
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La crise pétrolière vient s'ajouter au bilan négatif de l'agriculture industrielle, dont les « rendements » sont en recul depuis plusieurs décennies.
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En 2021, alors que le choc pétrolier prend de l'ampleur, la menace de pénurie alimentaire grandit et s'ajoute à la hausse des prix alimentaires, dans le monde entier.
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Récession économique.
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Les efforts pour préparer un avenir différent ont été minimes, le pétrole étant ce qui engraissait l'économie.
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En 2021, la science n'a pas de « remède miracle ». Elle n'est pas prête dans l'immédiat à assurer la relève du pétrole et de ses produits dérivés.
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Pour le remplacement des produits dérivés, la plupart des nouvelles technologies en sont encore au stade expérimental, ont des effets secondaires problématiques ou coûtent un prix prohibitif.
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Dans le domaine des carburants, la situation n'est guère plus encourageante. Certes, des solutions de remplacement ont déjà été expérimentées : agrocarburants, batteries électriques, butane/propane, éthanol, hydrogène liquide, carburant obtenu à partir de la fermentation des algues, etc...
Cependant, aucune de ces solutions ne n'est montrée viable à grande échelle. Leur mise en place est trop lourde ou incompatible avec les ressources de la planète (comme dans le cas des agrocarburants).

Là non plus, la science et la technique ne sont pas prêtes à combler en quelques années la disparition progressive du pétrole.
Il sera impossible de répondre à la consommation mondiale quotidienne, en croissance exponentielle depuis 20 ans.
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Le recours au rationnement est à prévoir, dans tous les domaines, en attendant que soient développées et mises en place les technologies de remplacement du pétrole.
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Etat d’urgence planétaire.
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L'onde de choc du pic pétrolier produit ses premiers effets dès 2021. L'ensemble du système économique est touché. Le monde plonge lentement dans la crise. Une crise qui s'étend progressivement à tous les secteurs : transport, alimentation, chauffage...
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Les gouvernements s'efforcent de maîtriser la situation. La stabilisation des marchés boursiers ramène un calme provisoire au bout de quelques mois.
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La civilisation se réveille avec la gueule de bois. Ses meilleures années semblent derrière elle. « La fête est finie », déclarent les dirigeants. « Il va falloir faire des sacrifices et travailler dur pour sortir de cette situation ».

Les gouvernements décrètent un état d’urgence planétaire, qui va durer plusieurs années, le temps que le monde s'organise pour « l’après pétrole ».
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Les citoyens sont appelés à garder leur sang froid face à la flambée des prix et du chômage, à la menace de pénurie énergétique et alimentaire...

Malgré cet appel au calme, la dégradation des conditions de vie (rationnements, pénuries, famines, épidémies) engendre des émeutes et des mouvements de révolte dans la population (cf période suivante 2030-2040).
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Le chaos menace. La civilisation industrielle est confrontée à la crise la plus grave de son histoire. Elle n'échappe pas aux conséquences.
Son empire se morcèle en de nombreux endroits.

Une partie du territoire échappe progressivement au contrôle des gou-vernements : des « zones libres » apparaissent dans les régions rurales.

Ailleurs, dans les villes et autour des points vitaux du territoire, le pouvoir gouvernemental use de la force nécessaire pour préserver la loi et l'ordre (cf chapitres chronologiques suivants).

La civilisation évite le KO. Elle a tenu bon et ne s'effondre pas.

Du moins pour l’instant.

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Chapitre 5

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Léa : 2020 - 2023.
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Jardinage.
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Nous retrouvons Léa à sa sortie de prison, au début de l'année 2020 (avant le pic). Elle est expulsée d’Allemagne manu-militari, avec interdiction d’y revenir pendant 10 ans.
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Léa retourne en France. Elle trouve refuge chez son grand-père, qui l’accueille avec le chapeau de paille de son enfance.
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Léa a besoin de faire le point et de souffler un peu. Elle se tient à carreau pendant quelque temps, se contentant de faire pousser quelques mauvaises herbes dans le jardin de son grand-père.
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Depuis quelque années, la culture des OGM est autorisée en Europe et se trouve en plein essor. Mais la nature joue les troubles fête et vient prêter main forte aux opposants aux OGM : des plantes comme l’amarante et d’autres « mauvaise herbes » sèment la pagaille dans les cultures transgéniques.
Ces plantes sont résistantes aux herbicides et envahissent les plantations d’OGM, prenant leur place au passage.
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Avec son grand-père et quelques complices locaux, Léa se livre à des actions de guérilla jardinière, en allant semer la « mauvaise graine » dans les champs d'OGM de la région...
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(Pour découvrir les méthodes pacifiques de la « guérilla jardinière », http://www.guerrillagardening.org/ et http://jardinpotagerurbain.wordpress.com/)
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Un repas gastronom'atomique.
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Lorsqu'arrive l'année 2021, l’attention se porte sur un tout autre événement : le pic pétrolier mondial, qui fait les gros-titres de tous les journaux.
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Les conséquences économiques provoquent une forte agitation sociale. Les grèves se succèdent, ponctuées de saccages des bureaux des compagnies pétrolières, ou d'occupations de bâtiments administratifs pour réclamer la suppression de la taxe sur les carburants.
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Les projecteurs des média se braquent également sur l'énergie nucléaire, dont le développement dans le monde s'est accéléré ces dernières années, sans la moindre consultation de l'opinion publique.
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En signe de protestation, un groupe d’éco-activistes se livre à une action lors d'une conférence internationale sur le nucléaire organisée à Paris.
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Une centaine de spécialistes internationaux sont réunis pour la ratification de nouvelles normes de radioactivité, autorisées dans l'activité des centrales nucléaires et le traitement de leurs déchets.
Les nouvelles normes, plus permissives que jamais, sont adoptées à l'unanimité, sans surprise.
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Au cours de la conférence de clôture, les caméras de télévision filment en direct un spectacle inattendu : un mal étrange semble s'emparer de la quasi-totalité des participants...
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Les éminents scientifiques s'agitent sur leur siège en se tenant le ventre avec des grimaces de douleur : les uns après les autres, ils sont pris de vomissements ou d'une diarrhée irrépressible, avant de s'effondrer sur le sol, le teint cireux, les yeux révulsés.
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Les victimes sont mises sur des civières dans une cohue apocalyptique et transportées vers l'hôpital le plus proche, où elles finissent par reprendre connaissance au bout de quelques heures.
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Des tracts distribués anonymement dans la foule revendiquent l'action, qu'ils décrivent sous le terme de « repas gastronom'atomique ».
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Les auteurs expliquent avoir substitué le stock de bouteilles d'eau et de rafraichissements fournis à la conférence, pour le remplacer par un « cocktail maison », un château-la-pompe bourré de toutes sortes de détergents, incolores et inodores, accompagnés d'une dose d'un nano-narcotique dernier cri, capable d'assommer un éléphant.
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Les victimes de cette petite farce n'auront à souffrir que d'un léger mal de tête et d'une atteinte à leur dignité...
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D'autres n'ont pas leur chance, comme le rappellent les activistes anti-nucléaires : des milliers de personnes dans le monde sont victimes de malaises sesemblabes, causés cette fois par les rejets radioactifs de l'industrie nucléaire.
Lorsque ces personnes sont prises de vomissements ou de diarrhée, et qu'elles sont emmenées à l'hôpital, victimes d'hémorragies, c'est pour ne plus jamais se réveiller...
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« Le cancer nucléaire détruit la planète » accusent les éco-activistes. « La terre, l'air et l'eau sont empoisonnés par les radiations qui s'échappent des centrales et de leurs déchets. Cette radioactivité s'accumule dans les chaînes alimentaires et tue les êtres vivants. Poissons, coquillages, oiseaux, mammifères, êtres humains : tous sont victimes, l'un après l'autre.
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Dans les mines d'uranium, dans les opérations de maintenance des centrales nucléaires, dans les usines de retraitement, .des êtres humains sont exposés chaque jour à des radiations qui ruinent leur santé. Les atomes radioactifs s'incrustent dans leurs os, qu'ils rongent jour après jour, sans rémission.
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L'énergie nucléaire tue depuis des décennies, elle tue de plus en plus et elle va continuer à tuer pendant des siècles. Nous devons mettre fin au nucléaire avant qu'il ne mette fin à toute vie sur terre ».
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Dès le soir-même, l'incident survenu à la conférence fait la une de tous les média. Les commentateurs s'insurgent pour la plupart contre ce nouveau méfait des éco-terroristes.
Si cette « petite farce » en fait rire certains, elle ne déride pas la police. L'enquête piétine. Les distributeurs du tract se sont fondus dans la foule. Les auteurs de l'action ont disparu dans la nature...
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Le ministère de l'intérieur français n'entend pas en rester là. La brigade anti-terroriste est mobilisée pour retrouver les coupables.
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La police lance un vaste coup de filet dans les milieux autonomes et anarchistes. Certains des auteurs présumés de « l'attentat » sont arrêtés dans les jours qui suivent.
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Léa sait qu’elle figure sur la liste des suspects et que la police ne va pas tarder à venir lui passer le bonjour...
Bien qu’elle n’ait pas participé à cette action, elle a eu des liens par le passé avec certains de ses auteurs, dont elle a reconnu l'humour vengeur.
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Une interpellation par la police vaudrait à Léa des mois de garde à vue, en prélude à une condamnation pour le principe, à l’issue d’un procès bidon.
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Elle préfère s'exiler pour quelque temps. Elle fait la bise à son grand-père, parvient à passer entres les mailles du filet et quitte la France pour l’Angleterre puis le Canada.
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Contexte historique : 2021 - 2030

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Le krach pétrolier - et l'ensemble de ses conséquences - s'étendent sur une longue période : près de 20 ans, de 2021 à 2040.
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Les années 2021-2030 sont marquées par l'augmentation rapide du chômage, les premières mesures de rationnement énergétique et l'apparition de la pénurie alimentaire, à l'échelle mondiale.
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Le développement de nouvelles sources d'énergie et de nouvelles technologies se fait progressivement. Il devient efficace à partir de la décennie suivante (2030-2040).
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La description plus précise de l'enchaînement de ces deux périodes se trouve dans la rubrique chronologique suivante : "Contexte historique 2030-2040".
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Il sera d'abord question ici de l'apparition des premières « zones libres », dans les années 2021-2030. Ceci afin de pouvoir suivre en parallèle la suite de la vie de Léa.
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A pied, à cheval, mais plus en voiture.
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Le choc pétrolier de 2021 ébranle en profondeur l'économie mondiale.
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La première conséquence, la plus directe, est l'augmentation du prix de l'essence. Une augmentation rapide, avec des paliers, mais irréversible.
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Il s'ensuit une réduction progressive du trafic automobile. Les transports en commun remportent un grand succès mais ils sont vite saturés...
Les gens limitent leurs déplacements au maximum. Beaucoup déménagent pour se rapprocher de leur lieu de travail, quand c'est possible...
On y réfléchit à deux fois avant de prendre sa voiture pour aller faire une course ou pour sortir se promener le weekend.
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Les bouchons des départs en vacances restent encore à la mode, même s'ils sont moins importants qu'avant. On s'offre une dernière fois le plaisir de brûler de l'essence pour aller s'entasser sur les plages ou semer des papiers gras dans la campagne.
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La consommation mondiale de pétrole reste encore élevée. Les gouvernements prennent les premières mesures de rationnement.
La priorité est donnée aux services collectifs indispensables : chauffage, transport routier, agriculture, véhicules prioritaires (ambulances, pompiers, police, gendarmerie, CRS), défense nationale, grands chantiers publics (construction de nouvelles centrales nucléaires), voitures des VIP.
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De 2021 au début des années 2030, le prix du baril de pétrole se trouve multiplié par trois, et il continue à grimper. L'essence devient un produit de luxe, réservé à quelques uns.
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En ville, les rues sont envahies par les vélos et les piétons. Le trafic routier se réduit progressivement. Les autoroutes ne sont plus empruntées que par les camions. Les routes nationales et départementales se désertifient. L'Etat n'a plus les moyens de les entretenir, de toute façon.
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A la campagne, la charrette à cheval ou le char à boeufs prennent peu à peu la place du tracteur.
Le dimanche, les plaisirs d'une promenade à dos d'âne ou en carriole remplacent ceux du 4x4. On va moins vite, mais on a plus de temps.
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Un vent de liberté.
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La civilisation ne s'est pas effondrée mais son « tissu » s'étiole par endroit. Des zones « incivilisées » apparaissent et se développent dans certaines régions.
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La récession économique, les restrictions en carburant, l'augmentation du prix de la nourriture, la croissance rapide du chômage, le dépérissement des services administratifs... tout cela conduit à une désorganisation économique plus ou moins forte selon les endroits. Le marché noir et le système D sont en plein essor.
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Un mouvement de migration de la population a lieu des villes vers les campagnes. Ce phénomène a commencé dans la décennie précédente, où l'on a assisté à un début de repeuplement des campagnes.
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Le mouvement s'amplifie sous l'influence de la crise : le chômage, la pauvreté et le prix des denrées alimentaires incitent de plus en plus de gens à quitter les villes pour aller tenter leur chance à la campagne. La démarche se fait de proche en proche, par de la famille, des amis, une association, un groupe affinitaire...
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La crise pétrolière a pour effet de redessiner la carte géographique. Avec l'augmentation du prix de l'essence et l'abandon progressif de l'utilisation de la voiture, les distances kilométriques « s'agrandissent » : là où il fallait 10 minutes pour faire dix kilomètres en voiture, il faut à présent deux heures en marchant d'un bon pas.
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Les campagnes se repeuplent tout en « s'éloignant » des villes, matériellement et psychologiquement. Les régions retrouvent leur autonomie. La situation devient propice à la remise en cause du pouvoir gouvernemental...
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La situation est identique partout en Europe et dans tous les pays industrialisés.
Les gouvernements se préoccupent en premier lieu de maintenir l’ordre dans les mégapoles urbaines et de garder leur emprise sur les points vitaux du territoire (approvisionnement en énergie, grands axes de communication, zones industrielles, régions d’agriculture intensive).
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La situation sociale explosive dans les villes provoque des tentatives de soulèvement anarcho-communiste, qui sont rapidement matées par les forces de l'ordre.
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C'est à l'écart des grandes villes, dans les campagnes, que la fronde des « incivilisés » s'étend progressivement, donnant naissance aux « zones libres ».
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Sur ce vaste territoire, cohabitent des communautés de toutes obédiences politiques ou religieuses.
L'ensemble forme un patchwork culturel au sein duquel les relations sont parfois houleuses ou hostiles, mais où l'on se retrouve côte à côte pour faire face à l'autorité gouvernementale.
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Au fil du temps, les habitants des « zones libres » acquièrent une identité collective et développent une économie mutuelliste, qui fédère entre elles les communautés et l'ensemble des régions concernées.
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(Pour plus de détails sur l'économie mutuelliste, voir le blog « Graine de Flibuste » : http://fr.wordpress.com/tag/mutuellisme/ )
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Les habitants des « zones libres » défendent de façon spontanée une nouvelle façon de vivre, proche de la nature et humaniste.
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Cette philosophie contestataire remet en cause certains des fondements de la civilisation (urbanisation, industrialisation), tout en préservant certains aspects de la technologie, développés sous leur forme artisanale.
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L'affaiblissement du pouvoir gouvernemental offre à ces territoires un répit momentané, de quelques années...
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Au cours de la décennie suivante, le pouvoir central se réorganise. La civilisation retrouve des forces et se prépare à reprendre le contrôle de ce qu’elle avait dû abandonner...
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(La question de la crise alimentaire est abordée dans un chapitre à part - cf Contexte chronologique 2030-2040).
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Pour accéder au CHAPITRE SUIVANT : cliquer ci-dessous sur « Messages plus anciens » ==> Chapitre 6 / 1ère partie.
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Chapitre 6 - Première Partie

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Léa : 2024 – 2030
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Communautés agricoles.
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Après avoir passé quelque temps en Angleterre, Léa trouve refuge au Canada, au sein du réseau éco-anarchiste.
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Plus de trois ans se sont écoulés depuis le choc pétrolier, dont les conséquences se font sentir plus fortement de jour en jour.
La production de pétrole continue à décliner d'année en année. Il y a moins de pétrole qu'il n'en faudrait pour faire tourner les machines, pour irriguer les champs, pour se chauffer... Cette situation de pénurie se répercute dans tous les secteurs. Le système économique est en faillite. La récession ne cesse d'empirer.
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Le chômage et la pauvreté sévissent dans les villes, incitant à des migrations vers les campagnes. Le mouvement, qui avait débuté il y a quelques années, s'accentue.
Ecovillages ou communautés rurales fleurissent dans les vallées, sur les collines, à la lisière des forêts.
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Les habitants des campagnes se montrent hospitaliers envers les nouveaux-venus. La situation de crise ranime un esprit de solidarité humaine. L'heure est à l'entraide et à l'échange.
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Cette vie n’est pas idyllique pour autant. La violence et la criminalité font aussi partie du quotidien.
Certaines de ces communautés sont sous la coupe de petits chefs locaux, qui profitent de la situation pour s'approvisionner en main d'oeuvre bon marché, destinée à tous les usages.
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Parmi ces communautés, celles fondées par les éco-anarchistes – à la fois écologistes et libertaires - sont parmi les plus anciennes et elles ont eu une influence importante par leur conception particulière des relations entre la nature et l'être humain.
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Jardin forestier.
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Au Canada, Léa est accueillie par une de ces communautés, où l’on pratique l'agriculture et l'élevage dans l'esprit de la permaculture.
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Le principe de la permaculture est de prendre modèle sur les écosystèmes naturels pour améliorer notre façon de « produire » de la nourriture, ou notre façon de vivre en général.
Dans le cas de l'agriculture, cela permet d'obtenir de biens meilleurs résultats que l'agriculture traditionnelle, d'une façon qui est à la fois bénéfique à la nature et à l'être humain.
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La permaculture donne à l'ensemble de la population de la planète la capacité à se nourrir, avec une nourriture de bien meilleure qualité que celle que nous connaissons.

Dans la communauté qui accueille Léa, l'agriculture et l'élevage sont pratiqués au sein d'un « jardin forestier », où cohabitent espèces domestiques et essences naturelles.
Les animaux de basse-cour déambulent librement dans le verger. Le potager et les plantes sauvages font bon voisinage, en lisière d'un sous-bois ou d'une prairie bordée de haies naturelles, où paissent les troupeaux.

L'esprit de la permaculture permet à l'être humain de préserver le milieu sauvage tout en y retrouvant sa propre place.
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Après des années d'agriculture « civilisée », les sols et les écosystèmes sont dans un état catastrophique. Ils peinent à retrouver leur santé.
Les nouvelles communautés agricoles aident la terre à panser ses plaies. Les écologistes-libertaires rendent leur liberté aux rivières ou nettoient les sols de leurs pesticides.
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Grâce à ces soins attentifs, la terre renaît à la vie : les prairies refleurissent en quelques saisons, des arbustes réapparaissent en lisière des bois et poussent avec enthousiasme sous le regard majestueux de leurs aînés !
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La nature semble donner une seconde chance à l'être humain.
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Une âme nomade.
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Léa passe trois années dans la communauté qui l'a accueillie. Elle est heureuse de participer à cette aventure et d'assister à la renaissance de la terre.
L'envie de reprendre la route lui vient pourtant certains matins. Elle se rend compte qu'elle n’a pas encore l’âme d’une sédentaire.
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Elle en prend conscience en feuilletant son vieil exemplaire de « L'appel de la forêt », aux pages défraîchies.
Un sentiment diffus de manque, d'inachèvement, se manifeste en elle depuis toujours. Et il revient de nouveau à la charge.
Son âme reste nomade. Il en sera sans doute ainsi tant qu’elle n’aura pas encore trouvé sa « destination ».

Léa a entendu parler de certaines communautés qui vivent au cœur de la nature la plus sauvage. Parmi les précurseurs de ce « réensauvagement », les plus déterminés se sont installés en Amérique du Sud, à la frontière de la Guyane et du Brésil, depuis une vingtaine d’années. Ils y ont fait leur place depuis, avec succès.
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A l’invitation d’un groupe de ces « vétérans », Léa part les rejoindre, en compagnie de quelques compagnons de route.
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Réensauvagement.

Arrivés sur place, les nouveaux venus sont accueillis à bras ouverts, mais l'acclimatation n’est pas facile. Léa constate que le retour à la vie sauvage demande non seulement un long apprentissage, mais un véritable retour à soi-même.
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Au fond de chacun d'entre nous sommeille un « sauvage », dont. nous .avons gardé la mémoire et qui attend patiemment de pouvoir retrouver un jour la liberté.

Mais après plusieurs siècles d'éducation civilisée, le « sauvage qui est en nous » a perdu beaucoup de ses forces et de son instinct. Nous nous y prenons peut-être trop tard pour lui rendre sa liberté...
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Au coeur de la forêt Amazonienne, Léa et ses compagnons partent en quête de ce lien perdu avec la nature sauvage.
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Léa relate son expérience dans les lettres qu'elle adresse à son grand-père :
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...« Autour de moi, les arbres bruissent des chants d'oiseaux et des cris des animaux sauvages, l'air s'emplit de la senteur des fleurs. Les chasseurs sont à l'affût dans les taillis, la vie et la mort vont danser leur ballet d'ombre et de lumière.
...La vie possède encore ici son énergie primitive, qui donne à la nature sa beauté originelle, celle qu'elle avait au premier matin du monde. Une beauté sauvage, indomptable.
...C'est de cette énergie primitive que naît notre désir de liberté. C'est grâce à elle que les êtres humains briseront un jour leurs chaînes et pourront vivre à nouveau dans la nature sauvage, en paix et en toute liberté ».

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Au coeur de la forêt.
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Léa passe deux années parmi les tribus éco-anarchistes d’Amérique du Sud, au cœur de la forêt.
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La vie ici se déroule à l’écart du reste du monde. Léa reçoit régulièrement des nouvelles d'Europe par sa mère et son grand-père. La situation là-bas n'est pas brillante pour la civilisation, confrontée au krach pétrolier et aux mutations du climat.
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A la crise économique s'ajoute la dégradation des conditions de vie, entamée depuis les décennies précédentes : chômage, pollution, perturbations climatiques, maladies...

Cela fait deux ans que Léa est en Amérique du Sud, quand elle apprend la nouvelle du décès de sa mère dans une épidémie.
Léa se sent coupable d'avoir abandonné les siens. Cela l'incite à rentrer en France, pour y revoir son grand-père et ce qui reste de sa famille d’origine.

Léa fait ses adieux à ses compagnons d'Amérique, qui l'ont initiée à la vie sauvage.
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