Chapitre 6 - Deuxième Partie

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Léa : 2024 – 2030 (suite)
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Sur la route.

Léa rentre en France et retrouve son grand-père en Lozère. Nous sommes au début des années 2030.
La situation dans le pays est à demi-chaotique, comme partout en Europe.
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Le territoire est partagé entre les zones urbaines et rurales. Les villes moyennes se sont vidées peu à peu de leurs habitants : une partie a émigré vers la campagne, l'autre partie a rejoint les grands pôles urbains, où s'est concentrée l'activité économique et industrielle.
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Ces citées tentaculaires sont reliées entre elles par les grands axes de communication (autoroutes et voies de TGV), où circulent les convois de marchandises sous la garde de l'armée.
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L'ensemble de ces mégapoles urbaines est sous l'autorité du gouvernement et des militaires, qui contrôlent également les secteurs indispensables à la survie de leur population :
l'énergie, avec les sites des centrales nucléaires, et l'approvisionnement en nourriture, avec le secteur de l'agriculture industrielle, concentrée sur quelques régions et protégée militairement contre les pillards.
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C'est là que vit la population « civilisée », disposant des moyens modernes d'existence.
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Autour des zones urbaines, s'étend le reste du territoire : le vaste espace des campagnes, où sont apparues les zones libres. C'est là que vivent les « incivilisés », sous leur propre autorité.
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La situation est identique dans les autres pays d'Europe ainsi que dans le reste du monde. La nouvelle carte des populations se dessine en suivant les frontières entre les parties civilisées et incivilisées du territoire.
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Le krach pétrolier et la crise économique ont donné lieu à des phénomènes de migration internationaux. Les zones libres se sont développées dans un mouvement affinitaire : des « incivilisés » de toute origine et de toute culture se sont regroupés au sein de ces communautés.
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Le langage des incivilisés.
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Léa passe quelques mois en Lozère, auprès de son grand-père. Celui-ci ne veut pas qu'elle reste à veiller sur lui, alors qu'elle est encore jeune et a sûrement mieux à faire ailleurs. Léa résiste mais finit par accepter de se laisser gentiment mettre à la porte par son grand-père.
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Elle part un peu au hasard des routes, parcourant une France en plein bouleversement.
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Deux mondes différents vivent à la même époque, séparés par une frontière technologique et philosophique, de plus en plus marquée.
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Léa observe ainsi ce spectacle anachronique du haut d'une colline : au loin, des TGV filent sur leur voie surveillée par des patrouilles militaires, tandis qu'à quelques kilomètres de là un convoi de chars à boeufs transporte sa cargaison de paille vers les greniers d'une communauté villageoise.
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Deux manières de vivre radicalement différentes et de plus en plus opposées. Un partage du territoire qui ne restera pas éternel...
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La population des zones libres offre un curieux mélange de cosmopolitisme et de régionalisme, suite aux différentes vagues d'émigrants qu'elle a accueillies.
La France des campagnes parle la langue de Molière avec des accents du monde entier. Une langue enrichie de toutes les cultures, qui fleurit joyeusement sur les lèvres.
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C'est la langue des « incivilisés », un patois sans frontière, riche en vocabulaire, qui unit fraternellement tous ceux qui le parlent.
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La forêt d’Yffendic.

Léa poursuit sa route. Les communautés agricoles ont poussé dans les campagnes comme des fleurs sauvages. Des communautés pratiquant une agriculture traditionnelle cohabitent avec des "tribus" éco-anarchistes, au mode de vie semi-nomade.
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Aux détours des chemins, Léa retrouve certains de ses anciens compagnons d’arme, des années de « l’action directe », qui se sont regroupés en France au gré des affinités et du climat.
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Léa décide de poser son sac pour quelque temps en Bretagne, dans une de ces com-munautés, où elle a eu la joie de retrouver certains de ses meilleurs amis, des « verts et noirs » purs et durs.

La communauté est installée en lisière de forêt, sur un vaste territoire dont elle n'utilise qu'une infime partie. Ses ressources principales sont l'agriculture et l'élevage, pratiqués selon les principes de la permaculture, du pastoralisme ou des « cultures associées ».
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L’arrivée de Léa, et le récit de son expérience de vie sauvage dans la forêt amazonienne, suscitent l'enthousiasme et encouragent la communauté à développer les activités de chasse et de cueillette.
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Dans les années qui suivent, la communauté s’implante plus profondément dans la forêt.
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Celle-ci fait partie d’un massif forestier qui traverse une bonne partie de la région. Le gibier, protégé autrefois pour la chasse, est abondant. Cerfs, chevreuils, sangliers, lièvres, perdrix, pintades sauvages, ne manquent pas.
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Au cours de ces dix années, la forêt a entrepris de reconstituer également son sous-bois : les baies et fleurs sauvages commencent à revenir en abondance.
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Complété par la pêche en rivière (truites, brochets, écrevisses...) et les ressources de la permaculture, cela permet de se nourrir quotidiennement de façon variée et raffinée.
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La chasse et la cueillette n'en demandent pas moins un apprentissage de longue haleine... Les premiers temps sont difficiles. Les chasseurs rentrent souvent bredouilles et les cueilleurs manquent régulièrement de s'empoisonner...
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Léa et ses compagnons ne mangent pas à leur faim tous les jours. La forêt est un lieu à la « personnalité » particulière. Elle a ses mystères et son caractère. Elle ne livre ses secrets qu'à ceux qu'elle choisit d'accepter parmi elle.
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La persévérance des chasseurs-cueilleurs finit par être récompensée. Au fil des mois et des saisons, la forêt leur ouvre ses sentiers et leur dévoile ses richesses.
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Léa et les siens ont conquis le « coeur » de la forêt. Ils ont le sentiment d'appartenir désormais à ce lieu, à l'égal de tous les êtres qui y vivent.
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Une nouvelle forme de vie sauvage.
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Les éco-anarchistes apportent leur touche personnelle à cette expérience de la vie sauvage.
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Leur but n'est pas de ressusciter le mode de vie de nos ancêtres ou de se livrer à une imitation de certaines traditions culturelles. Cela n'aurait rien de déshonorant, bien évidemment, mais ce serait inapproprié et dépourvu de sens.
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Il s'agit d'inventer une nouvelle façon de vivre libre, qui utilise aussi bien des savoirs-faire ancestraux que certaines des connaissances technologiques acquises au cours de notre histoire plus récente.
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L'alternative à la civilisation n'est pas un « retour au passé ». Un monde neuf peut naître des ruines de l'ancien.
Un monde qui fera appel à l'ensemble des savoirs humains, passés et présents, pour permettre à l'humanité d'aller « au-delà de la civilisation ».
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C'est ce chemin qu'ont pris les éco-anarchistes, en adoptant un mode de vie qui repose sur ces principes fondamentaux : partage du savoir, société à taille humaine, technologie douce, respect de la vie.
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De lourdes menaces pèsent cependant sur l’avenir du Peuple Sauvage...

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